Moyen de gaspiller le temps : Baudrillard

Informal remarks on the vacuity of Baudrillard's book on America. English translation follows.

Remarques informelles sur la vacuité du livre de Baudrillard sur l'Amérique. Un ami français (étrange à dire) a admiré le vigeur de mon français, ici montré. À vous d'en juger.

--Mark Rosenfelder


Je suis en train de lire le bouquin qu'un ami a suggéré, Amérique de Jean Baudrillard; et je dois dire qu'il m'échappe presque. Pour moi, ce n'est pas un livre sur l'Amérique; c'est un poème masturbatoire provoqué des rêves d'Amérique. Prenons par exemple cet extrait :

Il y a une sorte de miracle dans la fadeur des paradis artificiels, pourvu qu'ils atteignent à la grandeur de toute une (in)culture. En Amérique, l'espace donne une envergure même à la fadeur des suburbs et des funky towns. Le désert est partout et sauve l'insignificance. Désert où le miracle de la voiture, de la glace et du whisky se reproduit tous les jours : prodige de la facilité mêlée à la fatalité du désert. Miracle de l'obscenité, proprement américain : de la disponibilité totale, de la transparence de toutes les fonctions dans l'espace, qui lui pourtant reste insoluble dans son étendue et ne peut être conjuré que par la vitesse.

Son style a de l'esprit, il a du mouvement; mais je ne trouve guère une phrase que je ne peux pas contester.

Plus tard on lit :

Là où ils passent leur temps dans les bibliothèques, je le passe dans les déserts et sur les routes. Là où ils tirent leur matière de l'histoire des idées, je ne tire la mienne que de l'actualité, du mouvement de la rue... Ce pays est naïf, il faut y être naïf.
Belle méthodologie! Il fera son anthropologie en ne faisant que conduire sur l'autoroute! Et quand il n'entre pas dans les bibliothèques ni considère les idées, il ne court pas bien sûr le risque d'encontrer la culture!

C'est peut-être que je n'entends pas très bien les intellectuels français. Ils ont (me paraît-il) une tendance à trop généraliser; leur propos sont si abstraits, si vagues, et si douteux, qu'ils perdent presque tout sens. Et ils sont plus attachés à eux-mêmes qu'à leur sujet : leur éclat, leur langage, les enivrent et les emportent. Baudrillard ne vous découvre pas l'Amérique; il vous décrit Baudrillard.

Il parle de la fadeur, de l'inculture, mais il a raté totalement l'aperçu d'un de nos journalistes, Tom Wolfe (qui, lui, a un style assez pyrotechnique) : la vulgarité de l'Amérique vient en partie de sa prosperité même. Ce n'est pas du tout parce que l'argent tue la culture-- l'art a toujours tenu le riche comme patron-- mais parce qu'en Amérique, la classe moyenne/ouvrière, le prolétariat, avait pour la première fois de quoi satisfaire leurs propres goûts-- et qu'ils ne raffolaient pas de la culture traditionelle (voire aristocratique). On a donc des monster truck rallys, des hot rods, des conventions de trains miniatures, ou de <<Star Trek>>, des équipes de bowling, le ham radio, les Cabbage Patch Kids, la <<youth culture>>, la <<culture de consommation>>. L'Amérique est le pays de la culture pop, non pas parce qu'il est un pays de sauvages, mais parce que c'est la première nation bourgeoise : le pays où les minables sont aisés.

Baudrillard poursuit : <<À New York... la puissance centrifuge est telle qu'il est surhumain de penser vivre à deux...>> Auquel je dis : Tu penses ? Ne se rend-il pas compte qu'on tombe amoureux aux USA, qu'on se marie, qu'on a des enfants-- qu'on y vit sa vie, exactement comme en Europe ?

Nos cultures se rapprochent, je crois. Il y a évidemment bien des différences entre nous. Mais l'Europe ne souffre plus son entre-guerre, ni son après-guerre; elle jouit de la même prosperité généralisée que nous. Elle a même sa propre culture populaire-- la musique, les BD, la télé, les jeux de vidéo. Et nous sommes ici un peu plus décadents-- et donc raffinés; nous avons décliné un peu, exactement comme l'Europe; nous avons laissé ce rôle d'innovateur du monde-- la pays qui pose des questions, qui trouve de nouveaux moyens, qui vole des idées sans honte et réinvente une culture hybride-- aux japonais.

Suit la traduction en anglais.
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Wasting time with Baudrillard

I'm reading a little book a French friend recommended: America by Jean Baudrillard, card-carrying French intellectual. I have to say that I'm not impressed. It's not a book on America at all; it's a masturbatory poem provoked by a dream of America.

Take this sample passage (chosen pretty much at random, the whole book is like this):

There's a sort of miracle in the insipidity of these artificial paradises, so long as they attain the greatness of an entire (un)culture. In America, space gives scale even to the insipidity of the 'suburbs' and 'funky towns'. The desert is everywhere and keeps meaninglessness at bay. A dessert where the miracle of the car, of ice and whisky is repeated every day: wonder of facility linked to the fatality of the desert. A miracle of obscenity, stricly American; of total availability, or the transparency of all functions in space, which however remains indivisible in its extent and cannot be tamed except by speed.

His style has wit and movement, but there is hardly a sentence in it that can be taken without correction.

Later on we read:

Where they [other interpreters of America] spend their time in the libraries, I spend it in the desert and on the roads. Where they take their subject from the history of ideas, I take mine from the present, from the movement in the streets... This country is naïve; you must be naïve there as well.
Nice methodology! He can do anthropology simply by driving down the Interstate! And of course, never entering a library or considering an idea, he doesn't run much risk of encountering any "culture".

It may be that I just don't understand French intellectuals. They have, it seems to me, a tendency to overgeneralize; their remarks are so abstract, so vague, and so suspect, that they lose almost all meaning. And they are more attached to themselves than to their subject: they're drunk on their own literary éclat, carried away by their own verbiage. Baudrillard doesn't tell you about America, but about Baudrillard.

He talks about insipidity and unculture, but he's completely missed the insight of Tom Wolfe, who (with just as pyrotechnic a style) understood that the vulgarity of American culture comes in part from its very prosperity. This is not because money kills culture-- art has always depended for patronage on the rich-- but because in America, the middle and working classes, the proletariat, has for the first time in history had the means to satisfy its own tastes-- which are not at all those of traditional (aristocratic) culture. So we have monster truck rallys, hot rods, miniature train collectors, Star Trek conventions, bowling teams, ham radio, Cabbage Patch Kids, youth culture, the consumer culture. America is the country of pop culture, not because it's a nation of savages, but because it is the first middle class nation; a country where the average Joe is (historically speaking) well off.

Baudrillard continues: "In New York... centrifugal force is such that it's superhuman to think of living as a couple..." Say what? Apparently it's news to Baudrillard that in the USA people fall in love, marry, have children-- that people live their lives, exactly as in Europe.

Our cultures are getting closer together. Obviously there are important differences between Europeans and Americans. But Europe is no longer undergoing its interwar or postwar crises; it's enjoying the same more or less generalized prosperity as we are. It even has the same Wolfean pop culture: music, comics, TV, theme parks, video games. And we've become rather decadent-- that is, sophisticated. We've declined a bit, just like Europe; we've left the role of the world's innovator-- the place that asks questions, that finds new ways to do things, that shamelessly steals and reinvents a hybrid culture-- to the Japanese.


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